LE FABULEUX DESTIN D'AMELIE POULAIN

      de Jean–Pierre Jeunet (2002)

DIALOGUE 1

Voix off : En revanche, elle cultive un goût particulier pour les tous petits plaisirs : plonger sa main au plus profond d’un sac de grains, briser la croûte des crèmes brûlées avec la pointe de la petite cuillère, et faire des ricochets sur le canal Saint martin.

Lui, c’est l’homme de verre. A cause d’une maladie congénitale, ces os se cassent comme du cristal. C’est pour cela que tous ses meubles sont molletonnés. Une simple poignée de main risquant de lui broyer les métacarpes, ça fait 20 ans qu’il évite de sortir de chez lui.

Le temps n’a rien changé, Amélie continue à se réfugier dans la solitude. Elle prend plaisir à se poser des questions idiotes sur le monde ou sur cette ville qui s’étend là sous ses yeux. Combien de couples par exemple sont-ils en train d’avoir un orgasme à cet instant précis ?


DIALOGUE 2

Le client : C’est incroyable ce qu’il vient de m’arriver… Ca doit être mon ange gardien, c’est pas possible autrement… C’est comme si la cabine m’appelait, elle  sonnait, elle sonnait, elle sonnait.

Le serveur : Ben, tenez justement, il y a le micro-ondes qui m’appelle…

Le client : j’ pourrai avoir encore un petit cognac ? C’est drôle la vie. Quand on est gosse, le temps n’en finit pas de se trainer et puis du jour au lendemain, on a comme ça cinquante ans. Puis l’enfance, tout ce qu’il en reste ça tient dans une petite boîte, une petite boîte rouillée. Vous n’avez pas encore d’enfant mademoiselle ? Moi, j’ai une fille, elle doit avoir à peu près votre âge, ça fait des années qu’on s’est pas parlé, il paraît qu’elle a eu un enfant, un garçon, il s’appelle Lucas. Et ben, je crois qu’il serait temps que je leur rende visite avant que je finisse à mon tour dans une petite boîte, vous croyez pas ?

Voix off : Amélie a soudain le sentiment étrange d’être en harmonie totale avec elle-même, tout est parfait en cet instant, la douceur dans la lumière, ce petit parfum dans l’air, la rumeur tranquille de la ville… Elle inspire profondément et la vie lui paraît alors si simple si limpide qu’un élan d’amour comme un désir d’aider l’humanité entière la submerge tout à coup.

Amélie : Venez, je vais vous aider. On descend. Et hop, c’est parti. Là, on croise la veuve du tambour de la fanfare, elle porte la barreuse de son mari depuis qu’il est mort. Attention, hop. Tiens, l’enseigne de la boucherie chevaline a perdu une oreille. Ce rire, c’est celui du mari de la fleuriste, il a des petites rides de malice aux coins des yeux. Oh dans la vitrine de la pâtisserie, il y a des sucettes Pierrot Gourmand. Humm, vous sentez ce parfum, c’est Peponne qui fait goûter son melon aux clients (Peponne : Allez, allez goutez mon melon). Oh, chez Marion, ils font de la glace aux calissons. On passe devant la charcuterie, 79 le jambon à l’os, 45 le travers demi sel. On arrive chez le fromager, 12.90 les picodons de l’Ardèche et 23.50 le cabécou du Poitou. Chez le boucher, il y a un bébé qui regarde un chien qui regarde les poulets rôtis. Voilà, maintenant, on est devant le petit kiosque à journaux, juste à l’entrée du métro et moi, je vous laisse ici, au revoir…



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